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24 novembre 2021

Exportations de chêne vers la Chine: nuances et éclairages

Lors des ventes publiques d'automne, l’offre en grumes de chêne est restée stable, voire en légère hausse. Mais les prix ont littéralement explosé. Ils ont tout simplement doublé dans certaines catégories en l’espace d’un an. La demande vers la Chine bat des records, le marché chinois se portant acquéreur de 95 % du chêne vendu en Wallonie. Les scieries wallonnes ne sont plus en mesure de s’aligner sur les prix pratiqués lors des ventes de bois.

Cet automne, de nombreux articles ont dès lors fleuri dans la presse et les réactions d’humeur se sont multipliées sur les réseaux sociaux. Avec comme rengaine le fait que, comme d’habitude, rien n’est fait en Belgique et plus particulièrement en Wallonie pour freiner le phénomène et qu’il suffirait d’interdire les exportations. L’Office économique wallon du bois souhaite apporter quelques nuances et éclairages dans cette problématique complexe.

  • Les forêts wallonnes ne sont pas pillées par les Chinois. Il s’agit bien d’acheteurs belges qui sont présents aux ventes et qui se portent acquéreurs des bois qui prennent ensuite la direction de la Chine. Ces acheteurs se fournissent uniquement en bois qui sont mis à disposition par les propriétaires (publics ou privés) et leurs gestionnaires, selon leur plan d’aménagement et une gestion durable de la ressource.
  • Il n’y a pas de pénurie de bois. Ce qui manque, c’est du bois à un prix permettant à nos transformateurs locaux de rester compétitifs sur leur marché.
  • Pour le chêne, la tension est bien réelle entre les transformateurs et les exportateurs. Pour les autres essences, comme le hêtre ou le frêne, les marchés locaux étant devenus assez confidentiels, la vente à l’exportation offre une porte de sortie bienvenue à une matière dont on ne saurait autrement quoi faire. Grâce à l’exportation, ces essences conservent une valeur économique, ce dont les propriétaires ne se plaindront pas. N’oublions pas non plus que c’est l’exportation qui a récemment permis à la Wallonie d’écouler d’importants volumes de bois scolytés, alors que nos entreprises étaient engorgées. Encore une fois en garantissant au passage un revenu, certes limité mais bien réel, aux propriétaires.
  • Bien consciente de la situation, la Wallonie dispose d’un système de ventes dites de « gré à gré ». Elles permettent aux propriétaires publics de proposer un volume plafonné de bois à des transformateurs locaux. Il s’agit en réalité d’un système d’appel d’offres restreint auprès de scieurs locaux. Bien qu’il soit en place depuis 2014, ce mode de vente reste loin d’être utilisée à son plein potentiel. Les raisons de cette sous-exploitation sont multiples pour les communes et leur gestionnaire, le DNF. Les plus fréquentes étant la crainte d’une perte financière, la peur d’un manque de contrôle et l’absence de matière première adaptée à la demande des scieurs locaux à l’échelle de la commune ou du cantonnement.

Au niveau financier, certains propriétaires pensent en effet qu’une concurrence restreinte aux seuls scieurs locaux ne leur permettra pas de vendre leurs bois à des prix auxquels ils pourraient prétendre dans le cadre d’une vente par adjudication publique. Or, il convient de rappeler que les prix pratiqués dans les ventes en gré à gré suivent les mêmes tendances que ceux des adjudications publiques, puisque les prix de retrait qui y sont fixés (prix en dessous duquel le lot est retiré de la vente par son organisateur) sont précisément établis sur la base des prix pratiqués dans ces ventes par adjudication publique, où les exportateurs sont bien présents et achètent à prix fort.

En termes de contrôle du système en Wallonie, les opérations sont le fruit d’une collaboration entre le DNF, l’Office économique wallon du bois et les transformateurs eux-mêmes. Des lots sélectionnés de manière aléatoire font l’objet d’une vérification à la sortie des parterres de coupes, avant le transport et avant le sciage dans la scierie.

  • Le label de transformation UE français (labellisation des lots composés de plus de 50 % de chêne de sciage) est parfois cité en exemple lorsque sont évoquées des mesures destinées à freiner l’exportation. En réalité, dans son principe, le label UE est très proche des ventes en gré à gré wallonnes : une part de chêne est réservée aux transformateurs locaux dans des ventes en gré à gré. Il est néanmoins nettement plus lourd dans sa mise en place et dans sa gestion et par conséquent plus onéreux. Le système est en effet payant pour les adhérents et les missions de contrôle ont été externalisées à la société d'audit et de consultance KPMG. Depuis la création du label UE, les exportations de grumes de chêne en France connaissent la même montée que chez nous. Peut-on donc considérer ce système plus efficace ? Des fuites de bois subsistent, par l’entremise de sociétés qui agissent en façade. Plusieurs ont d’ailleurs été exclues du label. Afin de rester dans les clous de la réglementation européenne en matière de libre-échange, le système autorise une transformation hors des frontières françaises. Ce qui n’est pas non plus de nature à en simplifier le contrôle. Au 15 octobre 2021, trois entreprises wallonnes disposaient de ce label UE.

Pour développer les ventes en gré à gré à destination des scieries locales, la solution réside finalement dans une volonté politique à plusieurs niveaux : communal, régional et européen. Le problème est en effet loin d’être limité à la Belgique. Difficile équation donc ! Les entreprises locales réclament un soupçon de dirigisme et d’interventionnisme de l’Etat (comme on le retrouve dans d’autres régions du monde où la démocratie est pratiquée à géométrie variable) dans un grand verre de libéralisme économique presque sacré à leurs yeux. Une goutte d’huile dans un grand verre d’eau. Pendant ce temps, certaines communes vont essayer d’aller chercher jusqu’au dernier euro, sans se soucier de l’économie wallonne à moyen et à long terme. C’est-à-dire sans véritablement se demander qui leur achètera leurs bois quand les scieurs locaux auront disparu et que les Chinois seront seuls à faire le prix (comme c’est déjà le cas pour le hêtre) ou se seront détournés du chêne européen. Enfin, les différents Etats membres et l’Europe ont bien trop peur d’indisposer un partenaire commercial comme la Chine avec des mesures protectionnistes visant un marché qui ne représente finalement pas grand-chose dans la balance commerciale.

Espérons à tout le moins que le battage autour de la question ces dernières semaines aura le mérite de faire en sorte que les décideurs, notamment communaux, prennent des dispositions concrètes en faveur des transformateurs locaux. De son côté, la Ministre Tellier a insisté auprès de son administration forestière pour que les bois issus de forêts domaniales soient prioritairement mis en vente via le système du gré à gré ainsi qu’auprès des communes pour qu’elles appliquent également ce système. Certaines n’avaient toutefois pas attendu cette demande pour déposer des motions auprès de leur collège afin que 15 % de leurs chênes de qualité sciage soient orientés vers les ventes en gré à gré à destination des scieries locales.

Tout cela ne doit pas non plus faire oublier que le développement de la consommation en circuits courts et l’innovation au sein de la filière constituent d’autres moyens pour contrer le phénomène. Car c’est en rapatriant davantage de valeur ajoutée sur notre territoire qu’il sera possible de réduire cette fuite de notre matière première non transformée. Le plan de relance wallon prévoit d’ailleurs une enveloppe de 8 millions d'euros pour accompagner la filière dans cette voie.